il y a aussi des LIDL en Irlande
on roule à gauche sur la longue route
nos chargeurs ne sont pas adaptés aux prises,
les pain au chocolat coûtent 3 euros 95
mais à part ça tout se ressemble
je comprends le gaélique comme je comprends le breton
et le LIDL est une institution
je vais changer de murs
mais j’ai trop mal au ventre
et trop peu d’énergie
pour célébrer la nouvelle
tout ça est intimidant :
j’ai peur de regretter les vieux murs
mais c’est sûrement l’étape qu’il faut
pour respirer autre chose
et glaner des bouts de maison
– faire la pie
une grue gigantesque se dresse au-dessus de chez moi
j’en ai jamais vu d’aussi près
et au sol
il y a son ombre et les pétales des cerisiers
la rue gronde
l’air tiédit, les saisons poursuivent leur cours, mais peut-être aussi que les pas réchauffent le pavé
maintiennent la ville en frémissement perpétuel
en rentrant de l’AG je ne croise que des livreurs à vélo
et des tags à perte de vue
j’ai toujours l’air en colère sur les photos
il faut que je m’entraîne
à défroncer mes sourcils
il va bien falloir que je déménage :
c’est même pas encore acté
et je ploie déjà sous le stress
entre le chêne et le roseau
dur de choisir
je serais plutôt une vieille branche
qui craque sous le pied
mais qui tient dans la poche
l’air de rien,
sans m’en rendre compte
j’attrape les rides de maman
je reconnais
les traits aux coins des yeux
et si sa peau pliait déjà à mon âge,
comment son dos résistera
si elle travaille
angoissée à plein temps
jusqu’à 67 ans ?
il marche dans le salon
en pyjama mais en talons
pour faire ses nouvelles chaussures
le cuir crisse
résonne dans la pièce
mes yeux s’accrochent au défilé
tout est bien
une voiture me laisse passer
c’est le même modèle, la même couleur
que celle qu’on a eu
après les tonneaux de ma mère
alors, je la fixe et je retourne 12 ans en arrière
quand on était trop contents d’avoir une voiture rouge alors que les parents trouvaient ça trop voyant
elle avait une clim parfumée et des lucarnes au plafond
c’était le top à nos yeux
le soleil tient mes humeurs en joue
vivre en immeuble c’est vivre un peu chez les autres
les murs n’ont sûrement pas toujours été jaunes
la moquette du couloir retient toutes les odeurs
je sais ce que les voisin•es mangent quand je passe devant chez eux
et j’entends leur sanglots quand je me couche
j’aime bien jacques-goldman
je me suis rappelé son existence aujourd’hui
et j’ai tout chanté de lui
peut-être que c’est un peu la honte
j’aime bien la comédie musicale « notre dame de paris », même si en sous-texte ça parle que de sexe pendant 2h
parce qu’on l’écoutait pendant les longs trajets
après avoir étudié toutes les options dans l’étui des CDs
et les mots inconnus, on les reformulait
on faisait du yaourt de français
est-ce que c’est un peu la honte ?
j’aime des musiques lentes et mélodrames
parce que je les ai découvertes à 8 ans
les tires-larmes de ma mère
les hérisse-poil de mon père
me font encore un effet monstre
en arrivant, j’enfile l’anneau du porte-clés à mes doigts
comme une très grosse bague
parce que j’ai peur que les clés ne m’échappent quand je passe au-dessus du vide de l’ascenseur
la ville est un condensé d’expériences
tout est là
et il y a plus de mouettes à Rennes
que sur les plages
chez mes grands-parents
j’aime le pain quand il est un peu trop cuit
et qu’il goûte le charbon
apparemment c’est mauvais pour la santé
mais c’est comme ça :
j’aime le bruit de la croûte brûlée contre ma molaire,
le pain quand il est un peu trop cuit
ils m’ont dit « pour que tu rejoignes la famille »
ça m’a pas fait peur
pas fait d’ulcère à l’estomac
et si ça n’arrive pas, tout ira bien
je me sens mal-a-droite
même s’il a neigé sur mes roses hier
même on me dit que tout va bien
ça me va d’être gauche
les noms sont identiques,
l’année change
des personnes surgissent des abysses et en remplacent d’autres
tout est à sa place et se rejoue encore
un peu différemment
à chaque nouvelle période
à chaque nouvelle seconde
son bus démarre
et l’air refroidit encore un peu,
surpris par son départ
j’aimerais aspirer les mouches au plafond
et enfouir dans la terre les bibelots qui font tâche
chaque nuit dans mes rêves j’ai une grande maison
mais quand je crois en elle, évanouie en un flash,
elle m’échappe ; j’aurais voulu y vivre et loger
sous mon toit amis fidèles et chats errants;
mais j’ai l’impression de sans cesse déménager
en trainant le poids de mes arrière-grands-parents
franchement, franchement ?
une journée bien minable
comme on en fait rarement
j’étais
fatiguée,
donc irritable,
conne (par manque de discernement),
et frustrée !
malgré tout, bonne année.
j’ai trois mains et j’ai trois yeux
dans la ville de mon ancien collège, j’ai croisé un gars dont la tête m’était familière
je suis sûre de le connaitre
sûre d’avoir été dans sa classe
en sixième
peut-être en quatrième aussi
c’est un adulte et pourtant je sais que c’est lui
quelque chose dans le regard et la démarche
il ne me reconnaît pas
comment le pourrait-il
j’ai l’impression d’être indétectable
pourtant si son prénom me vient si rapidement, qu’est-ce qui me différencie de lui ?
qu’est-ce qui reste de celle que j’étais à 10 ans ?
est-ce que ça se voit
dans mon regard
dans ma démarche ?
je ne sais pas s’il perçoit quelque chose
ou s’il n’en a rien à faire
toujours aussi cynique
qu’en deux-mille douze
il y a la bande originale des demoiselles de Rochefort dans la CDthèque de mes parents
je la mets, comme si j’avais besoin de la jouer pour en connaitre les paroles
– tu rentres déjeuner ?
– oui, mais pas avant une heure !
il se déclare vieux con
pour nous faire réagir
mais comme c’est un vieux con
on a rien à redire
quand il parle, on se tait,
mais lui coupe nos paroles
balbutie et étaye
garde le monopole
il a dû être grand dans une vie antérieure
pas celle-ci
et plus il rapetisse et nous fait des frayeurs
plus il nuit