Je suis le Garçon Excentrique et depuis 4 jours j’ai un ami. Nous parcourons ensemble le pseudo espace, moi et Garadholg, Garadholg et moi. Garadholg est inquiet car de plus en plus tout le monde penche vers la gauche, et nous ne sommes absolument pas près de trouver la cause du Dérèglement, ni de le régler. Ça, il ne me l’a pas dit bien sûr, mais je l’ai senti car il respire plus fort que de coutume. Hier, dans les tréfonds du pseudo espace, dans un bâtiment sinistre, nous avons soudoyé des reboteux, gardiens des sous-sols et des ultimes étages, pour accéder aujourd’hui au sommet de la tour Gronde, où sont gardées les grandes boussoles et balances du monde. Je me demande comment ces balances peuvent bien peser le monde. Je me demande si les boussoles montrent toujours le nord depuis le dérèglement. Les reboteux sont êtres vraiment très penchés. Je me demande comment vont-ils ouvrir les portes lorsque leur bras pendent si bas. J’ai l’intuition que ce que nous cherchons ne se trouve pas ici. J’en fais mon affaire.
¶
Les reboteux m’ont piégé. Garçon Excentrique a disparu. Moi, Garadholg, allié de la justice, je suis coincé à l’ultime étage de la tour Gronde, dans la salle des boussoles. Toutes les boussoles indiquent le même endroit : un sud ouest tranché, toutes les aiguilles, elles aussi, penchent irrésistiblement vers la gauche. Elles sont attirées, comme nous toustes, par une force magnétique colossale. Moi-même, de plus en plus, je penche vers la gauche. Mais, à cet instant, je ne m’en rends même plus compte, complètement abasourdi par le silence, cette fois pas comblé par les questions incessantes du Garçon Excentrique, ou par les cliquetis humides des reboteux. Ils ont emportés la porte, comme à leur habitude, et je ne peux m’empêcher de penser que c’est la raison pour laquelle ils ont accepté de nous emmener ici. Pour nous y enfermer, pour nous empêcher de régler le dérèglement. Je glisse dans mon armure de métal une boussole. Moi, Garadholg, allié de la justice, a bien l’intention de ne pas moisir ici. De toutes mes forces, je fracasse une à une les boussoles, je rentre dans les murs. Je tente de faire trembler la tour Gronde. Rien n’y fait. Et peu à peu, je perds mes forces. Quand soudain, un cliquetis résonne derrière un mur. Les reboteux reviennent. Je me tiens prêt à les étrangler, les rats d’égouts, mais quelle n’est pas ma surprise quand au lieu d’y voir apparaître une porte, le mur, en face de moi, s’écroule. Entre dans la pièce un carosse, tiré par deux immenses chevaux de métal, qui, comme moi, penchent à peine vers la gauche. Le conducteur, froid, lui aussi de métal, me demande « Voulez vous monter à bord ? » J’accepte. Je veux à tout prix quitter la tour Gronde.
¶
Quand Garadholg rentre dans le carosse et me voit, moi, le Garçon Excentrique, alors qu’il pensait m’avoir perdu pour toujours… Eh bien il ne dit rien. Pour autant, j’ai senti dans son attitude un certain soulagement. Ce n’est qu’après qu’il remarque, sur les sièges d’en face, deux immondes reboteux. Il se lève brusquement et les toise, approche son grand visage de métal de leur visages gris et (enfin) s’adresse à moi.
– Que font-ils ici ?
Ce n’est pas moi qui répond, mais le premier reboteux :
– Nous ne sommes pas ceux que vous croyez ! Nous sommes des reboteux repentis, nous voulons quitter le pseudo espace et tenter de rétablir l’ordre du monde.
L’autre enchaîne :
– Notre espèce a trahi l’équilibre qui faisait de nous les gardiens des balances et des boussoles. Nos pairs ont été appâtés par une force maléfique. Elle nous parle à travers les égoûts. Nous lui avons cédé les clés des ultimes étages.
Garadholg se relève, vibrant de rage autant que de jubilation : il savait, autant que moi, à quel point ces informations étaient précieuses pour la quête.