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il y a quelque chose qui se passe, quand je te vois
ça chatouille le bas de mon ventre
il y a quelque chose qui se passe, quand je te vois
ça chatouille le bas de mon ventre
Augures: historiquement, prêtres messagers (à partir d’une observation du ciel ou des entrailles d’animaux sacrifiés)
Les augures, ce sont les lecteurices, les messages, les récits qu’iels se font. Il n’y a pas de bonne, ou de mauvaise histoire, tout comme il n’y a pas de bonne, ou de mauvaise image. Mais il y en a peut-être de plus importantes que d’autres. Ou pas.
Rodrigue a étudié les sciences politiques, et ça se ressent. Sa revue, plutôt, sa série d’ouvrages, est née d’une relecture d’archives de Paris Match, chinées à Emmaus. De ces archives il déduit immédiatement un cadre, une époque, une structure: celle des débuts de la Ve République, jusqu’à la venue au Palais de Giscarg d’Estaing, qu’il décrit comme notre Kennedy. C’est une époque particulière, pour les médias publics d’après-guerre, qui font cohabiter politique et starification. La publicité prend de la place. Peut-être trop. De cette publicité, Rodrigue s’empare pour ses quatre volumes. Il les utilise pour écrire son scénario. Le scénario d’un film à venir, peut-être ? Rodrigue pose beaucoup de questions. Il ne donne jamais de réponses. Il dit que c’est ce que fait un bon livre. Alors, avec Augure, il a fait un bon livre.
Il n’y a plus de bruit. Je ne sais plus quoi faire. Je sais toujours quoi faire. Mais là, il n’y a plus de bruit, et ça me terrasse. Le porte bloqueur m’a emmené à l’intérieur de mon âme, et comme à l’intérieur de ma chambre, ça pue: ici non plus, je ne fais pas le ménage. Je ne peux ni bouger, ni parler; aucun moyen de m’échapper, je dois faire face. Il fait sombre, là-dedans. Il y a des souvenirs. Je ne les reconnais pas tous. Apparemment, dans une autre vie, je me balade en carrosse avec un certain Garadholg. Il a l’air gentil. Pas très bavard. C’est mon style. Dans cette vie-là aussi, j’essaye de sauver le monde, en vain. Je ne sais pas d’où ça me vient, cette obstination. Après tout, c’est contradictoire avec ma ligne éditoriale – si je déteste tout le monde, pourquoi s’obstiner à les sauver ?
J’aimerais bien sortir de là, c’est triste et ça sent le renfermé. Je ne sais pas ce que le Porte Bloqueur attend de moi, si c’est une grande déclaration philosophique, il peut se la mettre où je pense. J’aimerais qu’il allume la lumière, mais ici, je ne sais pas si c’est possible. Ça y est, il me parle. Il me dit: Tu dois choisir. Il sait que je ne peux pas répondre. Ça tombe bien, je ne sais pas prendre de décisions. Ça aussi, il le sait. Il me dit: Tu es cassé. Là, dans l’Univers, tu es cassé en plein de morceaux, et il n’y en pas un en bon état. Aïe. Il me dit que ce n’est pas trop tard, mais que si je veux vraiment sauver le monde, je n’y arriverai pas seul. Bon. Je considère mes options. Hors de question d’abandonner, surtout si c’est pour retrouver Lappy Melffy. Je me dis que Garadholg a l’air sympa.
Et juste comme ça, je me retrouve derrière lui au bord d’un lac en clair de Lune, à ne pas comprendre ce qui m’arrive mais à devoir faire comme si de rien n’était, flemme d’expliquer à un inconnu que j’ai changé d’espace-temps. On penche à gauche, ça non plus je comprends pas, mais il faut mieux aller vers la gauche que la droite. Je le laisse lire son livre, ça parle d’une prophétie maudite qui me rappelle trop bien celle de Melffy; si je le croise dans cet Univers, je le termine.
Mauvais jour pour être moi: après avoir parcouru des kilomètres dans l’obscurité de la Vallée, ventre vide il faut le préciser, je rencontre un Monstre Sauvage. Ou plutôt: je trébuche sur un Monstre Sauvage. Pour ma défense, le truc était en plein milieu du chemin. Pour sa défense, je ne regarde jamais où je mets les pieds, c’est pour cela que je les mets souvent dans le plat. Mais là, je ne sais même pas à quoi je fais face, c’est une bête, une chose, une masse titanesque, je ne sais pas où le regarder. Je sens que ça va barder, et ça va encore être de ma faute; c’est vraiment pas juste quoi, j’essaye de sauver le monde, ne me laissera donc jamais tranquille ? Et allez, on me gronde, on me menace de me « réduire à néant ». Objectivement, je suis pas dans une très bonne situation. Je tente le tout pour le tout: je joue de mon charme. Je lui tape la discussion, inspiré par Lappy Melffy, je lui raconte le drame de ma vie: avoir grandi dans la Vallée où la Nintendo DS n’a pas encore été inventée. Ça l’intrigue. J’enchaîne, a-t-il déjà vu le Pseudo-Espace, il parait que c’est un autre monde, si sauver le monde me fatigue j’irai mourir là-bas. Je suis sûr qu’il y a des choses incroyables à y voir, comme des frigos avec machines à glaçons intégrées dans la porte ! Ça l’a décontenancé, je crois, si je pouvais voir sa bouche je suis sûre qu’elle serait béate, en même temps monstre ou autre, qui ne rêve pas de glaçons illimités ? Je continue, je lui parle de mes plus grands rêves, voir l’AJA gagner un match de ligue un par exemple, c’est un de ces rêves qui ne se réalisera pas mais qui me fait bien dormir, au fait est-ce qu’il a la télé dans sa forêt, parce que chez moi on ne capte que France 5, je te l’ai dit, la Vallée il n’y a rien de pire. Soudain, sans prévenir, et vraiment, je ne l’ai pas vu venir: le Monstre Sauvage me met un coup de pied aux fesses, et je m’envole à des kilomètres. Je crois qu’il en a eu marre de m’écouter, tellement qu’il en a oublié de m’atomiser. Je reprends mon chemin, bien décidé à trouver un casse-croûte.
Je croise Lappy Melffy et je regrette m’être levé, ça me fait toujours cet effet de croiser Lappy Melffy, sauf que je le croise tous les jours, à croire que je ne devrais jamais me lever. Bonne idée, tiens. Je ne sais plus comment je me suis retrouvé ici, une histoire de fin du monde je crois, il n’y a plus personne dans la rue, moi je voulais juste faire un foot mais le Melffy me tient la jambe depuis ce qui paraît une éternité, il ne se rend pas compte que je ne l’écoute pas. J’ai des choses plus intéressantes à écouter, le bruit des branches qui craquent ou des feuilles mortes qui tombent par exemple, voilà à quel point le lapin m’ennuie: je lui préfère la nature.
J’ai envie de lui dire Je la connais ton histoire, tu la racontes depuis des années à toutes les oreilles que tu croises qu’elles y consentent ou non. J’ai envie de lui dire Quand on est un lapin on écoute les Magiciens, moi par exemple tu ne le sais pas mais je suis magicien, on m’appelle Excentrique mais je suis juste trop fort, désolé les nazebroques. Mais je dis rien, je sais que Melffy irait cafter et si je suis puni je pourrais pas sauver le monde. Sauver le monde de qui, de quoi, pourquoi ? Je sais pas, ça passe le temps.
Alors le lapin monologue, Si tu savais comme j’ai regretté, mais c’est qu’on avait pas tout compris, c’était un accident tu sais mais un accident est si vite arrivé, comment on pouvait savoir que celui qu’on avait nommé secrétaire était illettré, il nous l’avait dit c’est vrai, mais on s’en souvenait plus, alors quand on lui a dit d’être secrétaire il a compris qu’il devait se taire, c’est un accident tu vois, après il a plus rien dit et tu le sais ça a mal fini, mais je crois que c’était un signe, un signe que personne ne doit quitter la vallée , on est si bien dans la vallée…
Il est en roue libre Lapinot, trop bien la vallée ? La vallée où la seule activité est un château vide à visiter et où il fait nuit vingt heures sur vingt-quatre ? Le fameux château de brume de shien où il n’y a pas un seul chien aux alentours ? Il déraille complet, la vallée est d’un ennui mortel, on se croirait en Franche-Comté.
C’est pour ça que j’ai eu le malheur de lui dire que j’allais faire un tour dans les collines, je veux pas passer mes vacances à croupir ici, mais il l’a tout de suite pris personnellement, Tu veux tenter la Quête à ton tour ? Ralentis Jacques Brel, et puis ce que je fais c’est pas tes affaires. Alors je lui ai dit, parce qu’il fallait bien interrompre son discours, Laisse moi tranquille ou tu finiras dans une cocotte avec une sauce à la moutarde.
Je serai privé de dessert ce soir, raison de plus pour ne pas rentrer.
C’est une brindille sur pattes mais il se croit plus fort que tout le monde parce qu’il est magicien et que personne ne le sait, en réalité il n’est moins fort qu’il n’est ridicule et c’est pour cela que les gens disent de lui qu’il est excentrique, il n’est pas sûr de la définition du mot mais il s’en fiche, les gens qui lui cassent les pieds il les traite de nazebroques, et comme c’est un ado en crise, beaucoup de gens lui cassent les pieds.
C’est une très belle journée, le ciel est bleu, moi j’ai la gueule de bois et je me demande si il n’y a que comme ça que je peux écrire, en allant mal
j’irai au cinéma ce soir (peut-être)
Il y a une butternut bien assaisonnée qui est en train de rôtir dans mon four, je m’occupe de mes factures en buvant un grand verre de blanc dans un grand verre de vin, c’est comme si j’avais ma vie en main
Alors
Je suis arrivée sous la pluie, je me suis perdue en prenant le bus, j’ai perdu près de deux mille euros et me suis retrouvé à la rue par une arnaque au logement, j’étais seule, j’ai beaucoup pleuré, j’ai trouvé une chambre chez l’habitant, je suis allée à l’école tous les jours, une fille de ma classe s’est donnée la mort, j’ai consolé mes camarades, je suis allée à l’enterrement, j’ai pleuré les larmes qui me restait, j’ai voyagé pour oublier mon malheur, je n’ai pensé qu’au retour, j’ai perdu mon temps dans des cours qui m’ennuyaient, j’ai tenu trois mois sans trop savoir comment, le moral sur un fil tendu au dessus du vide
on peut arrêter de me poser la question maintenant ? ne le prenez pas mal surtout, mais voyez-vous j’aimerais bien réussir à passer à autre chose, si possible
Je m’essaye au silence
Je dis silence mais mon voisin fait le ménage depuis deux heures, il frotte les murs comme si il avait tué quelqu’un
Mais à part ça, je m’essaye au silence
En décembre j’ai visité un appartement rue de la Crèche, en face du dernier endroit où l’on s’est embrassés, ça m’a fait tout drôle. Finalement je ne l’ai pas eu, j’habite rue [x], au dessus du café où j’avais demandé un stylo à la serveuse pour te gribouiller mon adresse sur un vieux ticket de caisse. Tu vois Rennes, ce sera toujours un peu toi. Mais ne te méprends pas, Rennes pour moi c’est plein de gens à la fois.
boire de la bonne bière, parler trop fort au pub, payer six euros un mauvais vin dans une minuscule bouteille, la whipped cream et les baby guiness, le serveur de Frank Ryan, dire grand et ye et hiya, les t-shirts de Rory, les gens qui portent des pulls de Noël tout le mois de décembre, les maisons sur-décorées pour Halloween, se baigner dans la mer glacée fin novembre, cracher sur les anglais, râler contre les touristes à Temple Bar, repérer les stickers franco-anarchistes partout, courir sous la pluie à 23h30 pour ne pas rater le dernier Dart, Dublin in the rain is mine – a pregnant city with a catholic mind, écouter les Undertones, Sinéad O’Connor, les Cranberries et les Corrs, penser à St Malo sur les rochers de Sandycove et au Cap Fréhel sur les chemins de randonnées de Howth, prétendre comprendre les règles du GAA, traverser le pays en bus pour le prix d’un sandwich, envoyer des cartes postales aux gens que j’aime, le marché aux puces des Liberties, les concerts à Vicar Street, la bouquiniste de Cows Lane qui lisait Madame Bovary, ne pas réussir à aimer le whiskey, même irlandais, même dans le café, arrêter de fumer à cause du prix des cigarettes, arrêter d’écrire à cause de la dépression, lire James Joyce et Emilie Pine, les accents différents à chaque coin de rue, l’accent nord-irlandais, avoir ma tête dans le journal et me faire reconnaître à la cantine, la gentillesse des irlandais.es, le soleil tous les jours, la pluie tous les jours, les quatre saisons en douze heures, retrouver Emma à Blackrock pour voir la mer, le café au lait végétal, les banana bread plein d’épices, regretter de ne pas avoir de poncho, pester contre les bus, les écureils de St Stephen’s, croiser des renards dans mon quartier à chaque fois que je rentre dans la nuit, manger une glace artisanale à 22h en décembre (saveur sea salt & butterscotch), sortir des petits commerces en disant God bless you, les marées hautes par la fenêtre du Dart, […]
Dernière erreur de 2022 : avoir bu du vin rouge (4h plus tard ça me pète le crâne)
je prends des vacances qui me font un bien fou, je ne vous oublie pas, on se retrouve dans dix jours
je me suis réveillée à Rennes et je comprends toujours pas trop comment
claude est parti travailler et j’ai l’impression d’être une femme au foyer
À une autre époque, je t’aurai sûrement écrit. Ou plutôt: j’aurais écris à ton sujet. J’aurais écris sur tes t-shirts de fripes toujours moins sérieux que tu portes sans jamais sourcillé, sur l’odeur de tabac que tu dégages après ta pause cigarette de onze heures cinq, sur le fait que tu rougisses souvent; j’aurais dit: nos conversations te font cet effet, j’aurais pensé: tu es roux, il t’en faut peu.
Ça fait 3 jours que je suis incapable de quitter mon lit à cause de la grippe, l’angine, le covid, quoi que ce soit, je déteste ça, et ça m’a fait repensé à toi, quand tu m’engueulais de prendre de la codéine pour être capable de sortir
Je me suis endormie devant les biens-aimés, il y a une chanson qui dit Je peux vivre sans toi, tu sais / le seul problème, mon amour / c’est que je ne peux vivre sans t’aimer
En attendant je suis malade à en vomir, maman pense que j’ai l’endométriose mais maman n’est pas médecin alors qu’est-ce qu’elle en sait, moi je pense que je n’ai pas tous les maux du monde.
ça m’emmerde d’écrire une dissertation parce que j’adore la recherche mais que je déteste suivre une structure d’écriture
même si objectivement ça me fait pas de mal puisque la plupart du temps je ne fais pas sens
mais ça m’emmerde. pour compenser j’écoute mon album préféré de 2018, celui que j’écoutais la dernière fois que j’ai écrite une dissert (de philo)
flavien berger chuchote dans mes oreilles téléphone moi, encore – je promets que je ne te répondrai pas et je l’aime d’avoir écrit cette phrase et tant d’autres
Je m’excuse en permanence, j’ai le sorry sur le bout de la langue, toujours prêt à être dégainée, oh sorry, sorry, sorry it’s in French, sorry I’m French, I’m sorry. Je crois que ça met Rory mal à l’aise, il rougit souvent, you know you shouldn’t apologize for that, ce à quoi je réponds automatiquement sorry.
Hier je pensais à Dublin (oui je parle comme si je n’y étais plus alors que j’y vis encore pour trois semaines) et je me suis rendue compte qu’il y a deux souvenirs qui se démarquent largement du lot, les deux sont liés à la musique et aux femmes :
– voir Julia Jacklin sur scène, pleurer en réalisant l’ampleur de ses paroles, crier avec la foule I raise my body up to be mine, me dire que ce moment écrase toutes les merdes des semaines précédentes, le pouvoir des femmes sur scènes, le pouvoir des femmes qui écrivent, etc
– entendre la musique de m83 résonner dans l’église à l’enterrement de Maria, pleurer à très gros sanglots, inquiéter mes amies par messages parce que je ne veux plus jamais perdre ainsi quelqu’un de mon âge, me rendre compte des semaines plus tard de l’impact de cette scène
j’accumule les traumas comme des cartes pokémon
Je pense beaucoup au retour à la maison
Même si techniquement, j’ai plus de maison
Mi-décembre je rentre en retrouver une, j’essaye d’avoir espoir et surtout moins peur; Rennes c’est ma maison même si j’ai peur qu’elle m’ait oubliée.
à la fin de la séance la dame à côté de moi : well that was pretty unusual wasn’t it?
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