Après 24h de transport à expirer et respirer un air moite et filtré par plusieurs autres poumons regorgeant de muqueuses aux toux grasses et au nez qui coulent, après une nuit de sommeil dans une chambre où la poussière règne, le sol colle et les murs déteignent de gras sur mon visage pâle, après 48h à trouver que fumer s’avère bien moins compliqué que de se nourrir, j’ai comme le besoin d’un oxygène frais et pur. Dans mon malheur d’être excentré, la forêt entoure les environs de ma résidence et j’ai besoin d’éprouver mon corps sans autres charges que ses apparats en joignant l’utilité de faire du repérage. Je sors donc, fais le tour jusque derrière mon bâtiment et emprunte un chemin se perdant dans les fourrées. Les arbustes à peine plus grand que moi me donne parfois des coups de branches sur mon visage trop attentif à regarder le sol pour ne pas me fouler une cheville. Les alentours, comme les arbres en hiver, sont sans vie. Des sons rauques de corbeaux me dissuadent d’avancer. Ils retentissent à mesure que mon souffle s’accentuent et le chemin bientôt se divise. Un à droite redescendant. Un autre à gauche continuant l’ascension. Ça tombe bien, j’ai toujours préféré choisir le côté du coeur. Et je n’ai nullement envie de revenir en arrière. Une balade hasardeuse que j’ai envie d’étirer à l’infini, loin de cette porte 914. Les croassements bientôt se mêlent pour se perdent dans le chant d’oiseaux qui m’ouvrent la voie sur un sentier plus important. Une route de terre traversant et le sentiment d’imposteur m’habite quelques secondes quand d’entre les buissons je ne distingue qu’à peine la voie que je viens tout juste d’emprunter. Séparant une poignée d’habitation aux jardins délabrés, une femme arrive d’en face, un chien en laisse. Seuls lorsque l’on se croisent, nos regards s’évitent, aucune envie d’importuner l’autre.
(Ou autre chose à regarder. Ou flemme d’y penser. Mais je n’y crois pas. C’est toujours étrange de croiser une personne seule dans une rue. Un espace extérieur qui peut tout de suite devenir très gênant à partager seul à seul avec un inconnu. Un croisement, cela va encore. Le choix de sourire à l’autre en s’efforçant d’y mettre une sympathie sincère me semble être le plus approprier. Ne pas fuir le regard trop rapidement pour ne pas donner la sensation d’une moquerie. Ne pas tenir le regard trop longtemps pour ne pas être vraiment gênant. Un simple regard où soi-même on s’accorde de voir l’arrivée en lui faisant comprendre qu’on l’a vu. Fini. Mais quand il s’agit de deux personnes marchant dans la même direction, cela peut être très vite gênant. Surtout pour la personne de derrière. Parce qu’à moins d’être un expert du combat et de n’avoir aucun scrupule à se défendre, si j’étais devant, ce n’est pas de la gêne mais de la peur qui m’envahirait. Généralement je marche plutôt vite. Dans les deux situations, je ne serai pas du genre à ralentir où me baisser pour refaire un lasser pas défait. Non, je fonce. Surement de la techno dans les oreilles, je détalle, soit pour semer, soit pour dépasser. Mais surtout pour en finir avec cette pression que la proximité, ce partage de trottoir et de direction m’inflige, d’autant plus quand personne d’autre n’est aux alentours.)
Je fixe alors ce jardin abandonné, empreint du temps qui passe. Une structure en métal rouillée se détache légèrement des tons de la forêt et je devine une ancienne balançoire. Un Soleil froid des belles matinées d’hiver, la mélodie des oiseaux, l’impudeur des arbres endormis et les souvenirs d’un terrain de jeu dont je n’ai pas assez profité sont venus à bout de mes émotions. Tout devient flou et je suis à nouveau submergé par le manque terrible d’un joyeux temps d’insouciance révolu. Ce décor ressemble exactement à ceux qui, dans ma mémoire, parsemaient les beaux jours long de mon enfance. Ceux qui m’ennuyaient. Où rien d’autre qu’un rayon étincelant dans le creux humide d’une feuille, qu’un calme rafraîchissant qu’emportait une légère brise, qu’une bâche distendu recouvrant la piscine. Ou la température te permet d’être dehors, mais emmitouflé. Ou l’humidité ne te permet pas de jouer sans te salir. Ou tu n’as d’autres choses à faire qu’attendre. Mais jamais je n’ai attendu vraiment. J’ai toujours porter mon regard sur n’importe quoi pour occuper cette attention raffolant de consommation. Alors je me souviens de ces bois silencieux se dessinant sur un nuage gris. Ce même bois silencieux que je retrouve aujourd’hui sur un ciel bleu gigantesque qui semble englober le monde quand mes yeux se dirige vers les hauteurs, là où les arbres ne poussent plus. Une balade hasardeuse que j’étire à l’infini en arrivant au pied d’une colline. La question ne se pose même pas, je redouble tout simplement d’effort pour atteindre son sommet. « Ne te retourne pas, reste focaliser sur là-haut, l’effet de surprise ne sera que plus beau. ». Je me retourne à peine quelques mètres entamés. On ne sait jamais, un éclair peut me foudroyer à n’importe quel moment. Je n’ai jamais attendu avant de me retourné. Ça m’ennuie d’attendre et puis la beauté du paysage, certes plus bas que si j’avais attendu un peu plus, me motive à poursuivre ma route. Je ne suis pas de ceux qui se motive avec un espoir vague en tête. Enfin, pas quand je monte une colline. D’ailleurs je suis plutôt de ceux qui montent à l’envers, les yeux rivés vers le paysage, au risque de trébucher. Devant moi, une étendue de champs pouvant accueillir une autre Brno entourée de collines voisines donne le spectacle d’une mer de terre aux vagues figées. Je suis très épris de ce que je contemple. Je me retourne quelques secondes plus tard et cherche un endroit où m’asseoir pour prendre le temps d’admirer et remplir ainsi mes poumons d’un air vivifiant. Un temps. Un temps qui me semble long mais qui reste court. Un temps qui me semble court mais qui a tout de même pris son temps. « Ssendu » d’Idir résonne comme un appel lointain et je pense directement à mon père. Des souvenirs entrainent une nostalgie et j’aimerai qu’il soit à mes côtés à cet instant. Cela entraîne également des réflexes et je regarde mon téléphone. Appel manqué de papa il y a 5 minutes. Parfois je me demande vraiment si les âmes sont connectées au point de ressentir, même au loin, quand une personne pense à soi.