Berthe n’a pas de problèmes avec son prénom. Au contraire, grâce à lui, les importuns des villes la laissent tranquille. En effet, lorsque l’on s’appelle Lili, Jeanne ou Mathilde, la formule systématique et avenante qui s’incruste comme une tique est la suivante: «C’est un joli prénom que tu portes là! T’as un 06?». Avec Berthe, aucun risque, aucun chichi. Ce prénom chasse les mouches en faux Gucci.
Mais Berthe a d’autres démons à chasser. Des démons coriaces, invisibles et rusés. Lorsqu’elle n’était encore qu’une douce enfant, à l’époque où elle allait chercher le pain en courant, elle était passionnée par l’Histoire et ses savants. Mais elle est tombée dans un traquenard, ce riche et vicieux que l’on appelle l’art. Après s’être gorgée de peintures de toutes formes, elle en fit une amère indigestion. Elle ne correspondait pas aux artistes et à leurs normes, son caractère variant ne tiendrait pas à leur pression.
Les livres et les lettres vinrent alors dangereusement frapper à sa porte. Pas le temps de dire «Qui est là? Casse toi cloporte!». Berthe, à peine contaminée, vite endoctrinée, s’est déjà fait une religion avec une certaine Pyramid édition. Divin Damien Gauthier, vous l’avez subjugée. Illustre Michel Pastoureau, elle lève son chapeau. Radical Jan Tschichold, vous avez l’étoffe d’un Bold, méticuleux suisses, vous êtes son vice. Vous avez la force et la sobriété, vous avez le rythme et la clarté. Berthe, elle, ne cesse d’essayer.
Elle n’y arrive pas souvent mais tant pis. Elle en bouillonne le jour et en rêve la nuit. Elle convoite les pages les mieux rangées, elle exècre les paragraphes négligés. Mais un jour d’automne, un Arc tendu lui a suggéré de sauter un peu dans la gadoue. Alors salagadou, la magica bou, la bibidi bobidi bou.