18 novembre 2020
Pour savoir si on doit écrire « mourir » ou « mourrir », il suffit de se rappeler que l’on ne meurt qu’une seule fois.
Portraits de famille
The Legend of Leigh Bowery, Charles Atlas for Arte, 2002 (disponible sur youtube)
Kimono de soie
Je l’enlaçais, mais ce qui faisait obstacle au contact de nos peaux le gênait.
Alors, il dénoua le noeud de mon kimono en soie
et le laissa glisser doucement le long de mon corps,
tel le ruissellement silencieux de mes larmes à son départ.
MAÏS + VOYAGE TEMPOREL
Durant la nuit du 5 avril 1995, Émile Lacrosse fait une promenade en trottinette sur le parking d’un centre commercial. Il fait de superbes figures lorsqu’il remarque un homme âgé entrain de manger du maïs en boîte de conserve. Émile adore le maïs et va aller tenter de lui en piquer quelques grains. L’homme âgé lui explique cependant que ce n’est pas une boîte de maïs ordinaire mais une machine à voyager dans le temps et que de toute façon, elle est périmée depuis trente ans. Émile n’écoute pas du tout les paroles de l’homme âgé et lui subtilise son repas voyageur dans le temps. Il s’empiffre de tout son contenu en une bouchée et, comme l’avait prévenu le vieillard, Émile se retrouve transporté trente ans dans le passé.
Et voilà, Émile est désormais bloqué en 1965 car le bougre n’en a fait qu’à sa tête. Il n’a pas pensé à prendre sa trottinette et ça l’enquiquine bien. Il a également perdu toute sa vie d’avant: son travail de calligraphe, sa collection de pansements Spiderman et son meilleur ami Olivier Mine qui ne naitra qu’en 1967. Le pire de tout dans cette histoire, c’est qu’il a très mal au ventre à cause du maïs périmé. Tu l’a bien cherché Émile Lacrosse!
À travers l’écran
En début de soirée on s’était engueulé avec ma copine. Elle avait des cheveux magnifiques et blonds et elle était forte de caractère. Son frère vivait dans une pièce dans le même château que nous. Il se mêlait beaucoup de notre relation vous savez. Je pense avoir été jaloux de lui par rapport à sa relation avec sa sœur. Je ne l’envie pas mais ça me rappelle le fait qu’entre elle et moi ça ce se passe mal pour de mauvaise raison et que notre amour me manque. Pour enfoncer le clou son frère était d’une pureté d’âmes et de corps qui me clouait le bec. Un visage doux par son imberbité et ses taches de rousseur, des cheveux roux et un sourire rayonnant.
J’en eus marre de toute cette tension et commença à escalader la tour ouest du château. Pour la gravir c’était extrêmement difficile car il fallait brancher des câbles à des prises électriques. Elles étaient de plus en plus éloignées et c’est peut-être par-ce-que j’étais très secoué après la dispute avec ma copine mais je n’avais jamais été autant déterminé. Puis, c’était le tour de la dernière prise. Je pris mon élan et quand je réussis à la brancher dans un dernier saut je fus transporté dans le deuxième monde.
Là-bas ma copine n’était plus avec moi mais avec son frère. Elle voulait ma mort. J’étais jaloux de sa liberté dans notre monde et ma jalousie s’est métamorphosée en une haine qui tente de tuer tous les gens qui veulent lui ôter sa liberté, dont moi. J’étais dans leur chambre à elle et son frère son nouvel aman. Elle était clairement devenue une sorcière qui me voulait mort mais c’est là que je compris que son frère était la clé. Il me rassurait et sa gentillesse et sa bienveillance me guidèrent vers la raison. Elle allait me tuer mais lui me sauva quand je compris que je devais lui faire la paix pour vivre en harmonie avec ma copine.
Dès lors un portail à travers l’espace et le temps tira mon corps de ce deuxième monde. L’intensité de l’attraction transcenda mes sens qui se brouillèrent. Je ne sentais presque plus mon corps. Mon esprit essayait de suivre mais il était submergé par cette dimension. Je traversais l’espace et le temps. Je devenais omniscient. Un pouvoir qui me dépassait. Une sensation indescriptible. Celle qui dépasse toute expérience.
Je fus éjecté par un écran de cinéma jusqu’à mon corps qui était déjà installé sur un siège m’attendant moi. Mon âme rejoint mon corps et les autres spectateurs assis dans la salle se retournèrent et me disent qu’ils avaient tous vu ce qu’il c’est passé dans le deuxième monde. Dans le château nous sommes un groupe qui cherchons à aller dans d’autres dimensions via l’électricité. Ma copine et son frère faisons partie depuis un moment de ce groupe.
J’étais pourtant bien le seul à avoir réussi. Tout le monde se précipita pour gravir la tour et voulurent que je recommence mais je me fichais de recommencé car j’étais encore sous le choc puis dans le deuxième monde j’y ai déjà trouvé ce dont j’avais besoin. La paix harmonieuse avec mon copine et son frère. C’est ce que vous offre ce monde. La raison. Cependant, un nain était en très bonne voie pour réussir à gravir la tour mais tous tombèrent les un après les autres…
À mon réveil j’étais encore épuisé du voyage de retour du deuxième monde ou bien était-ce mon rêve qui m’avait mis dans un tel état ? Le pouvoir que j’ai ressentit était tellement intense. Vous voyez ce moment au réveil quand se croit encore dans nos rêves. Une sensation plus réel que notre monde. Un monde bien plus rassurant même dans ses cauchemars.
17 novembre 2020
En direct du fond du trou, nous avons perdu notre agent-e de terrain qui s’est retrouvé-e complètement euthanasié-e par ses propres draps.
De la violence de dire adieu aux lieux
C’était la fin. Quand je sortirais, ce serait pour la dernière fois. Il faisait froid, on était début février. J’avais gardé mon manteau à l’intérieur. Les pièces étaient presque vides, il ne restait plus que certains meubles trop encombrants ou des objets retrouvés au dernier moment, dans un coin, et que l’on hésitait encore à jeter. J’ai fais le tour des pièces, seule. Un tête à tête avec mon passé alors que les autres s’affairaient dehors. Le besoin impérieux de dire au revoir à cet espace qui avait construit la plupart de mes souvenirs d’enfance. Mais par dessus tout, se séparer de cette maison me donnait le sentiment de devoir couper les liens tenus qui me connectaient encore à Elle.
Mes larmes coulaient sur mes joues tandis que mes pas résonnaient, amplifiés par le vide. Ils me séparaient d’Elle et c’était atroce. Cette maison, et ces alentours, ça avait été comme un espace hors du temps. Le seul endroit où j’étais sûre que les choses restaient les mêmes. Où je n’avais pas à me soucier de quoi que ce soit. Mes tracas d’enfant s’envolaient. Cette maison c’était mon sanctuaire et Elle en avait été la gardienne. Mais Elle n’était plus là et les années avaient passé.
Ils étaient en train de passer à autre chose et moi je devais faire face à mon incapacité à en faire autant. Alors au fil de ma déambulation, j’ai pris en photo tout ce qui me raccrochais à mes souvenirs, tout ce qui avait fait sens avant. De figer dans les pixels de mon appareil ce monde que je quittais et qui avait habité les histoires de la petite fille que j’avais été. Une tentative désespérée pour essayer de cartographier le passé. De pallier aux écueils qui se feraient à ma mémoire.
Même maintenant quand je revois ces photos et que beaucoup de souvenirs ont disparus, le sentiment reste. Le sentiment que ces détails était importants. Que même si le fond à disparu, l’impression demeure.
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Un de mes plaisirs cachés, c’est d’écouter Where is my mind quand je suis heureuse.
C’est une transcendance ultime; l’intensité catalysatrice de la douleur se transpose à la montée de plaisir, frôlant l’euphorie, rendant la vie infiniment plus réelle 3’36”.
MONTAGNE + POCHE
Jean Paquebot est évidemment connu pour avoir fondé le musée de la fermeture éclair situé à Dodoma en Tanzanie mais peu de personnes connaissent l’histoire de cet homme d’exception.
Durant l’automne 1987, Jean, âgé de dix-neuf ans mais possédant toujours ses dents de lait, débute une formation pour devenir fabricant de calculatrices. C’est son père qui l’avait obligé à choisir cette voie car c’est la tradition familiale. Mais cela enchantait pas vraiment Jean Paquebot qui préfère les boutons de manchette et l’escalade. Dès qu’il avait du temps libre, il passait son temps à faire de l’escalade avec des boutons de manchettes.
Le 8 novembre de la même année, tandis qu’il exerçait activité favorite au Kilimandjaro, Jean se posa la question suivante « pourquoi les montagnes n’ont-elles pas de boutons de manchette? » Il se dit que s’il en était une, il voudrait avoir des boutons de manchette. C’est alors que le Kilimandjaro lui expliqua que c’était parce que les montagnes n’ont pas de poches pour ranger les boutons de manchette quand elles enlèvent leurs chemises. Jean Paquebot fut bien embêté pour elles et décida d’installer des poches sur le Kilimandjaro, désormais devenu son plus fidèle ami. Mais un nouveau problème se posa: l’ouverture des poches est bien trop grande et les boutons de manchette risquent de tomber lorsque le Kilimandjaro fait sa Zumba. Alors, Jean ajouta des fermetures éclairs sur les poches de son ami.
Le Kilimandjaro fut éternellement reconnaissant envers Jean qui, ému par cette situation, créa « l’Association des amis des montagnes qui aiment les boutons de manchette mais ne peuvent pas les ranger car elles n’ont pas de poches et même si elles en avaient, elle tomberait quand elles dansent la Zumba », souvent surnommé l’escadron fermeture éclair.
En seulement quelques semaines, l’association comptait plus de cinq mille bénévoles et cinq ans plus tard, l’entièreté montagnes du monde pouvait avoir des boutons de manchette sans risquer de les faire tomber. Merci Jean Paquebot.
deux heures et demi de l’après-midi en été
Un capharnaüm en plein cœur d’un village vacances. Sur les balcons des immeubles alentours, les maillots de bain sèchent. Au numéro 6 du bâtiment B, les rideaux sont tirés. De la fumée s’échappe d’une fenêtre entrouverte.
Madame B. met toujours plusieurs minutes a ouvrir la porte. Elle peine à se lever du canapé, auquel elle est attachée par les poignets et le visage avec des fils et des tuyaux. Elle traverse lentement son petit couloir encombré en faufilant son déambulateur entre une pile de cartons, une centrale vapeur en panne, un guéridon couvert de brochure de supermarchés, un poste de télévision cathodique et ses trois chiens minuscules. Elle doit entrer dans sa chambre pour entreprendre de faire demi-tour. A 14h38, elle tourne la clef dans la serrure. Madame B. reçoit du monde à longueur de journée, les médecins, les infirmier.ère.s, les psychologues, les assistant.e.s sociaux, les ambulancier.ère.s, les livreur.euse.s – alors elle ne prend plus la peine de dire bonjour en ouvrant. Un mince sourire poli suffit.
La première fois qu’elle entre chez Madame B., elle peine à supporter l’odeur. Un mélange de maison de retraite, de cigarette froide, de litière, et de sachet de lavande. Elle regarde cette petite dame, pas si vieille pourtant, progresser lentement à travers le deux pièces enfumé où elle accumule compulsivement des meubles et objets. Des piles de livres à l’équilibre précaire semblent presque soutenir le plafond. Le lit disparait sous les brassées de linge, le canapé sous les poils de chat. Dans les douze mètres carrés de la pièce à vivre, trois tables à manger, un vaisselier et un buffet, un aquarium, deux panières à chiens, un bar, un sapin de Noël décoré, deux télévisions débranchées et une allumée, une friteuse pleine d’huile stagnante, des dizaines de classeurs débordant d’ordonnances et de paperasse médicale, et 6573 cadavres de cigarettes dans des fonds de verre d’aspirine. Madame B. se rassoit au milieu de son canapé, à l’endroit où les coussins se sont affaissés par habitude, et hésite entre une cigarette, ou quelques minutes d’assistance respiratoire. Elle choisit la seconde option, en expliquant avec une voix lourde de regret qu’on lui interdit de faire les deux en même temps.