Il fait déjà nuit, l’ambiance est plutôt calme dans la maison. Il revoit ce carrelage marron qui le guide jusque dans la salle de bain. Ou les toilettes. Peu importe, les deux étaient à côté. Maman et Wendy discutent dans cet espace minuscule entre les deux portes. Maman parle sur un ton plus sérieux que d’ordinaire et il intercepte une conversation qui semble importante. S’enfermant dans l’une des deux pièces, il tend l’oreille, cherchant à comprendre les traits inquiets qui restent imprimés devant ses yeux. C’est la première fois qu’il entend ce mot. Pédophile. Maman met en garde sa sœur quant aux monstres qui peuvent se trouver dehors, sur son chemin. Qu’il faut qu’elle sache courir vite et se protéger. Il ne comprend pas vraiment tout, essaie de construire le portrait robot de cette énergumène ayant quelque chose à avoir avec son zizi. Sa présence qui dure derrière la porte pouvant paraître suspecte, il sort, se fait aussi perceptible qu’une brise.
La soirée terminée, il va se coucher dans son lit clic-clac avec son frère dans un calme inhabituel. Rapidement il somnole et tombe très certainement dans un rêve. Il se réveille pas très longtemps plus tard, une sensation de dureté dans le pyjama. Une dureté qu’il connait, qui a toujours existé. Mais que son regard, neuf d’élément de compréhension, découvre pour la première fois.
Du plus lointain qu’il s’en souvienne, il s’agit de ses premières bouffées de chaleur. Il fait le lien très vite entre ce pédophile qui joue à faire peur avec son zizi et sa rose qui se transforme en épine. Les démangeaisons commencent à apparaître, derrière les genoux, le piquant comme une armée de fourmis sur aiguilles tout l’intérieur des cuisses. Les flancs s’embrasent à leur tour et son angoisse se propage sous sa peau tel un acide rongeant jusqu’à ses aisselles, remontant le long de sa nuque et de son front pour irriter, rougir et faire peler la racine de ses cheveux. Il les a condamné dès ce jour-là.
« Peter ? A dormir avec ? C’est l’horreur ! Il bouge tout le temps, des vers au cul qu’il nous a. Une bouillotte et un savon. Ah non c’est pas possible. Il transpire tellement qu’il faut lui changer les draps après chaque nuit. » Le consumant de l’intérieur, la chaleur fait bourgeonner des perles de sueurs qui viendront le hanter des nuits entières à partir de ce jour.
Il reste figé, le coeur battant, les yeux ouverts dans ce grand vide noir, transpirant d’angoisse à côté de Tommy endormi. C’est un monstre. Il ne peux pas rester là, le zizi suspect, seul à connaître cette terrible vérité. Il se lève, s’extirpant avec la plus grande minutie de ces draps mouillés, la fluctuation sanguine à son apogée lorsque son corps tente de vaincre l’immobilisme. Comme foudroyé en continu. Chacun de ses pas est douloureux. Debout, il tourne à droite en sortant de la chambre et il attend devant la prochaine à droite, entrée de la chambre de ses parents. La porte est ouverte, illuminée par la TV. Papa doit regarder un film. Maman doit dormir. Il ne bouge pas. Ses muscles soudain glacés de peur. Une parois de verre infranchissable. Un harnais invisible le retient d’entrer. Il lui faudra rassembler tout le courage et l’amour et la confiance. Jeter toute la fierté et l’égo et mettre toute nue cette vulnérabilité d’un monstre qui se dénonce bien qu’il ne soit trop tard.
Il se glisse sans un bruit. La lumière bleu lui accentue son teint blême. Un fantôme coupable et condamné, résigné, glissant jusqu’au chevet de Papa. Sans avoir besoin de demander, il se redresse. Il sent qu’il y a une situation. Alors il réveille Maman. Sans avoir eu le temps de prononcer un mot, l’écran de la TV se fige et la chaleur de la lampe le réconforte déjà. Maman et Papa en position assise, le regard inquiet posé sur lui.
Balbutiement, cherchant ses mots, peur de les prononcer. Mais connaissant la nature impatiente de Maman, il finit par craquer:
« J’ai peur d’être un pédophile. »
Ça les interpelle tous les deux. Maman saisit d’une brise son passage lors de la conversation avec Wendy plus tôt dans la soirée.
« Mais non mais non. Pourquoi tu dis ça chéri ? »
« Parfois quand je dors et que je me réveille, j’ai mon zizi qui devient dur comme un bâton. »
Il se souvient d’une respiration plus légère, plus confortable, que ce gros nuage sombre et épais dans lequel il s’est perdu avait disparu. Tout s’imbibait d’une couleur chaude jaune orangée. La définition de pédophile lui a échappé, ce qui est sur, c’est qu’il ne l’est pas. Il se souvient du visages de ses parents, prenant des traits plus légers, rassurants, tentant de trouver les mots justes pour lui expliquer, pour le calmer. « Ca arrive, c’est la vie, c’est comme ça que les garçons sont fait ». Il ne savait pas.
Il sort de leur chambre, la vie est belle et merveilleuse et même l’humidité de ses draps ne dérange pas la tranquillité de son esprit.
Tommy à ses côtés, ses yeux se ferment et il laisse son corps tout entier se plonger dans un moelleux au chocolat le réchauffant d’un doux frisson.
Quelques minutes passent et Tommy se lève à son tour.
Il le notice à peine. Excité par cette sensation de bien-être et de soulagement, il somnole d’une nouvelle insouciance, attendant son retour pour s’abandonner véritablement à Morphée. Mais il ne revient pas. Bien que cela lui paraisse être une éternité, il ne veut pas s’en aller sans lui. Une dernière image, au travers de la porte entrebâillée, la lumière du salon s’allume. L’atmosphère semble tendue, il entend Maman et Papa parler le volume de leur voix plus concerné qu’à leur habitude. Des appels téléphoniques sont émis. Un grain d’inquiétude s’infiltre du dessous de la porte. Il comprend que Tommy ne reviendra pas cette nuit-là.