Errances

9 janvier 2023

embryon d’une lettre (dramatique) aux jeunes artistes

Filed under: - marion — Marion @ 14:26

« L’absence, le vide, le manque – qu’avez-vous fait d’eux ? C’était notre seul bien. »
C. Bobin, Le muguet rouge

Chèr·es camarades,

Je crois que comme moi vous voulez vous retirer du monde. Chaque moment de l’histoire est unique, et nous, nous sommes la génération du trop. Oui, d’autres avant nous ont pu éprouver le danger de la démultiplication de tout – objets, images, controverses et groupuscules – mais nous sommes les premièr·es à en être étouffé·es. Le monde est devenu trop grand, bruyant, multiple, violent, muet et étriqué, et le besoin de lui échapper n’a jamais été aussi pressant. Nous avons deux choix, deux échappatoires : le choix de la mort ou celui de la vie. Les écrans ou les histoires. La simulation du dehors – ces fausses fenêtres projetées sur les murs, crachat millénaire sur la tombe de Platon – ou l’exploration du dedans.

Je ne perds pas espoir, et vous ne devriez pas non plus, parce que je pense que la situation terrible de notre naissance nous ouvre aussi les yeux ; et je dirais même, avec tout l’orgeuil de notre génération, que nous sommes plus lucides – pour celleux qui lèvent les yeux vers le monde – que nos sociétés l’ont été depuis longtemps. Réveillé·es par la peur d’un avenir inhumain, comme un seau d’eau jeté à notre âme dans la nuit des écrans, nous cherchons à retrouver un rapport au monde, un point d’accroche dans la tempête des idées et des images ; un abri. Un espace calfeutré où détendre nos muscles, reposer nos idées et déployer notre âme sans craindre de la froisser, de la déchirer aux vents contraires. Ainsi, nous nous replions vers le port de l’enfance, et nous réglons notre exploration enfantine sur celle d’usage, autrefois, pendant les jours de pluie : nous partons à la découverte de nos anciennes histoires et de nos propres maisons.

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