le fil (4)
(tw mention mort, cadavre)
La nuit après les photos, la nuit avant le cimetière, je dors dans le salon. J’ai pas l’habitude. D’habitude, je dors en haut, soit dans la chambre bleue, vue sur les framboisiers, soit dans la chambre rose, vue sur un fragment de la baie. Ce soir dans les chambres sont entassés les invités. Je sais pas trop si on peut parler d’invités pour un enterrement. Personne dort en bas, à part Bonne-Maman, qui se lèvera pas demain. Alors je dors dans le petit lit en bois du salon (celui dans lequel elle dormait quand Bon-Papa était malade), coincée entre l’étage et le rez-de-chaussée. Coincée entre les vivants et la morte. Plus tôt dans la soirée, j’avais été la voir. J’avais tenu sa main douce et froide et dure dans la mienne. Je lui avais parlé. Je sais plus ce que je lui avais dit. Elle était toute pomponnée, joues roses, habits du dimanche, croix dorée autour du cou. Mais quelque chose clochait : elle était morte. L’aspect de sa peau marquée par 98 automnes formait quelque chose entre le drapé de marbre ou de terre cuite. Détail marquant : malgré le travail d’orfèvre des thanatopracteurices, sa mâchoire penchait dangereusement vers la gauche.