le fil (5)
(tw mention corps mort)
Cette nuit-là j’ai eu du mal à trouver le sommeil, minuscule dans le minuscule lit du grand salon de la grande maison qui craque la nuit. Il est facile de se faire peur la nuit dans cette vieille bâtisse en pierre dont le moindre recoin est recouvert de tapisserie fleuries : minis-jésus cloués sur des minis-croix au dessus de chaque porte, vieilles poupées au longs cils et yeux vitreux sur le prie-dieu, miroirs partout, cadres photos des aînées de la famille sur plusieurs générations au dessus du petit lit en bois dans le salon, tête-à-chapeau maquillée dans la véranda et dentelle en veux-tu en voilà. Mais cette nuit-là, cachée sous la couette, du haut de mes 17 ans, je suis terrifiée. J’arrête pas de me dire qu’il y a un cadavre juste en dessous. Ça arrive pas souvent d’être si proche d’un corps mort. J’entends le vent dehors comme s’il s’engouffrait dans les escaliers que je suis persuadée entendre craquer sous ses pas. Des cris stridents résonnent dans la rue. En tout cas c’est comme ça que je m’en rappelle, je sais même plus si c’est vrai ou si c’est une histoire que je raconte à la petite fille en moi qui croit encore aux esprits. A cet instant là, j’ai une vision très nette d’elle, qui remonte les escaliers en robe de chambre, une lanterne à la main, tel un vrai fantôme. Tout d’un coup je n’ai plus peur, j’imagine ses yeux pétillants, son sourire mutin, sa bouche qui glousse, fière de sa connerie. Je crois que je me suis endormie juste après.