Boulevard des 3 Croix, table du salon
Voilà 5 jours que Mamie les a quitté et cette après-midi ils célébreront l’incinération. Le ciel est gris, on est en Mars, c’est un jeudi. Il était convenu qu’il aille récupérer Wendy à la gare de Libourne. Ça lui fait plaisir, depuis qu’il avait commencé ses études, cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas conduit de voiture. En attendant, comme à chaque moment de flottement, il ouvre son carnet et se met à dessiner sur la table de la cuisine. Il flotte à son tour. Et selon son frère, il flotte un peu trop longtemps. Sans aucune consultation, Tommy lui succède en se préparant, dérobant les clefs de voiture qu’il avait posé à côté de sa trousse à dessin. On l’accuse d’être en retard à tord. Ne se laissant pas faire, une violente dispute éclate entre les deux frères. Aveuglés par l’ascension de l’ascendant, ils en oublient la tragédie de la journée, mêlant à leur querelle père et mère. Il tente désespérément de leur faire comprendre qu’il finit seulement son dessin, qu’il n’est question que de 5 minutes, qu’il est prêt à y aller. Désillusion, irresponsabilité et égoïsme. Les dures paroles fusent et d’aucuns ne se soucis de l’absence du père, ayant pris congé en se rendant utile, en direction de la gare de Libourne. Comme à chaque fois, Tommy sème la tempête et disparait. Se retrouver seulement sa mère et lui la gorge rouge et gonflée, déployant des mots injectés, les yeux implissables, deux astres qui s’entrechoquent de plein fouet. Sentiment d’injustice injustifiable, il succombe à la panique et entre en état de trou noir. Il se réveille quelques secondes plus tard face à une cuisine et un salon victimes d’une tornade. Contre son mur de chambre, l’arrière de son crâne vibre sourdement et malgré sa respiration rapide, il tend à retrouver son sang-froid. C’est sans compter la noirceur transperçant le bleu de ses yeux qui le fixent plein de dénigrement. Et comme si elle réalisait pour la première fois, d’une voix trop calme pour qu’elle ne pense pas ce qu’elle dit, elle lache: « Tu es fou. Faut te faire soigner, tu es fou. » Les trois premières syllabes ont fait réapparaitre le néant massif, et avant même qu’elle finisse l’enchainement, il se protège d’un « Ta gueule ». Une protection qu’il regrette à la seconde où elle se déploie, qui allume dans son regard quelque chose qu’il connait si bien. Le trou noir à changé de camps. En un éclair, une vingtaine de gifles s’abattent sur ses joues qu’il sert de sa mâchoire de pierre. D’aucunes excuses ne sera suffisantes entre les vas-et-vient interminables, ne ressentant plus aucune douleur, qu’une énorme honte. Quand il y repense, les braises se promènent sur ses joues, empreinte de feu d’une paire de mains d’ordinaire si chaleureuse.