pleine mer
-tu es nostalgique ?
-qu’est ce que tu veux dire par là ?
-regretter le passé
-quelque part oui, sans doute. Je crois que plus que le regretter, je vis dedans.
Il y a des jours où mon présent n’a pas de substance il est diffus. C’est juste un décor qu’on aurait posé là par erreur au mauvais moment. Des creux et des vides que j’interroge, que je remplis avec des souvenirs qui se déforment en continu, des scénarios que je m’invente. Entassée pleine a craquer jusqu’à étouffer et ne plus retrouver les choses. Ils sont innombrables les cd gravés dans mon crâne que je passe en boucle, du bruit blanc suffisamment effrayant assourdissant pour dissocier et contrôler tout le reste. Pause, je voudrais que ça se calme, je voudrais revenir au bord. J’aime rêver mais là c’est trop. Je veux déterrer juste une fois mes pieds paralysés bien enfoncés dans le sable. Comme les exercices de la psy qui me disais ferme les yeux, c’est ça, tu ne le sens pas là, le son produit par le frottement de ton souffle sur tes narines ? Je ne veux pas dormir ma vie. Mais c’est comme nager en pleine mer jusqu’à épuisement et n’avoir plus d’autre choix que de se laisser emporter au large. Il y a des raisons à vouloir s’extraire de l’instant, comme quand j’ai voulu descendre brusquement de la rame de métro l’autre jour deux fois de suite à la mauvaise station et que ça nous a fait rire aux larmes sauf que les miennes étaient réelles et bien brûlantes sur mes joues.
Je crois que c’est pour ça que j’explore chaque recoin de leur peau, même si ça les surprend par exemple que je m’attarde longtemps du bout de mes doigts sur le relief d’une vertèbre en particulier. À cet instant enfin, je m’en approche, je touche le bord.