914 & Vladimir 2 – Brno
Une histoire de poêle
Le Burger King de ce midi était loin d’être suffisant pour remplir mes peines affectives. Je rentre du Lidl, il fait nuit noire et le froid pénètre mes nombreuses couches de vêtements. Ici ils vénèrent cette distribution au même titre qu’un Dior en France. Des affiches gigantesques en font la pub et certains trams sont vêtus de cette association de couleur reconnaissable: jaune sur rouge sur bleu. Mon sac est lourd et le chemin retour est long. Mais sans rentrer dans le détail de ma peine physique, je rentre à bond port, des images de bons repas pleins la tête. C’est sans compter la mise en garde de Vladimir quant au partage des équipements de cuisine. M’ayant fait le tour de la chambre lors de nos présentations, il souligna le manque absolue d’ustensiles de cuisines. Aucune poêle, aucune casserole, aucune passoire, mais aussi aucun verre, aucune assiette, ni même un couteau pour couper ou une fourchette pour piquer. Il m’apprend que lui possède le strict nécessaire. Et qu’il n’est pas favorable à une mise en commun de ce genre d’affaires. Ayant déjà beaucoup d’informations à gérer en même temps qu’une perte de repères et un creux affectif dont je ne perçois aucun fond, j’ai inconsciemment oublier ce détail en faisant confiance à la bonté du partage. J’ouvre la porte de ma chambre et à peine dévêtu de tout mon arsenal contre l’air glacé de l’extérieur, je déballe de mon sac les ingrédients d’un trésor gustatif certain. Rangeant avec minutie chaque élément en m’appropriant les espaces de la cuisine, je fais part à Vladimir l’idée merveilleuse du partage. Connaissant son débit de parole et voulant être le plus convainquant, je lui explique qu’il serait insensé de m’acheter tout ce nécessaire pour quelques mois quand une simple résilience de son côté arrangerait tout ça. Avant la fin de la phrase, il penche la tête vers l’arrière, ferment ses yeux dans une horrible grimace de poisson sur le point d’éternuer et me sort un « niééééééééééééééé ». Je saisi que ça va être compliqué. Il me dit qu’il n’aime vraiment vraiment VRAIMENT pas partager sa poêle et ses affaires en général. Dans un dernier élan de bon sens, sans vouloir me faire passer pour Caliméro, je lui rappelle que je viens tout juste d’arriver, que de toute manière il est évident que je ne retournerai pas dehors pour quoique ce soit sans avoir mangé et dormi. Je lui demande de me faire une faveur pour ce soir et me laisser cuisiner un morceau avant de régler ça le lendemain. Il m’accorde sa casserole. Mais seulement pour faire bouillir. Pas revenir. Pas frire. Seulement bouillir. Donc légumes à l’eau sauce tomate froide se sera. Excédé, j’accepte. Je découpe l’oignon que j’aurai aimé qu’il soit le responsable de mon regard embué. Sans me voir, il s’étonne à ce que je n’ai pas prévu d’apporter mes propres éléments de cuisine et que c’est une chose primordiale pour lui de penser. Dans le fond, il n’a pas tord, j’ai pris beaucoup de vêtements pour réchauffer l’extérieur de mon corps, mais rien pour me permettre de réchauffer mon intérieur. Les divergences de culture peuvent faire mal quand elles s’entrechoquent, mais sont toujours instructives quand on est face au prix d’une poêle que l’on possède déjà en trois exemplaires à la maison.