Errances

2 février 2024

Par les temps qui courent – 6

Filed under: - piitzuuu — Piitzuuu @ 14:50

Vert.
Arqué.
De bois.
Vingt mètres après le virage à droite. Comme si le vent lui avait rapporté ma voix. Comme si ce pont n’attendait que moi. Un pont piéton vide d’usagers, gît dans une révérence inespérée.
Je ralentis jusqu’à son niveau pour m’arrêter et le considérer. Des fourmis dans mes veines me démangeant de l’emprunter donne à ma quiétude une aura sacrée. A son sommet, je retire le dernier élément faisant barrière avec l’extérieur. L’ouïe salue d’une écoute sincère la quiètude de la vue. Je me poste à la rambarde et laisse s’échapper une expiration véritable pleine de soulagement et d’admiration. Une allée endormie prolonge ce canal à l’infinie pour se perdre dans les songes de la nuit. Un sentiment étrange percute ma raison lorsque l’adrénaline de la détresse se soustrait à la contemplation. A quoi tient la rencontre entre l’assèchement de mon être et cette passerelle libératrice ? Dans l’incompréhension de cette situation, j’inculpe le hasard, cet être malicieux qui dans sa connaissance des choses, mit à l’épreuve mes nerfs en invoquant simultanément toutes mes ressources et ce léger pont de bois vert. Dans une quête vaine, j’interroge le rapport entre mon corps et le lieu. Serait- ce la distance idéale à l’effort physique que j’ai pu produire ? Mon corps aurait-il «senti» un franchissement possible à l’instant où mes membres manquent de me lâcher ?

Des questions qui flotteront autour de moi, délestées de toutes exactitudes, de toute inquiétude, de l’autre côté de la rive. Sur mon chemin retour, dans le noir, je reconnais le paysage qui défile. Un sourire complice sur mon visage se dessine aussi subtilement que les ponts dans l’opacité du soir. L’écho de la nature me parvient aussi facilement que ma vision est diminuée et dans l’élucubration de mes interrogations, je repense au nom d’Ille-et-Rance. Quel jeu de mot fantastique que de réunir ce pronom expérimental à une errance à l’orthographe douteuse. Face à cette pensée, le sourire est plus franc. Une marche nocturne agréable dans laquelle imagination et observation se remémore cette escapade. Comme me l’a toujours énoncé Maman: «Le retour est toujours plus rapide que l’aller». Étrange réalité quand je discerne l’image du pont initial qui éclot, son double scintillant plus bas.

Alors, dans une dernière inspiration, et sans musique cette fois-ci, pour l’amour de l’effort et de la sensation vigoureuse du corps qui me porte, je reprends de la vitesse, pour faire durer aussi longtemps que possible le temps qu’il me reste.

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