J’aime le mot orteil
« En m’éloignant du chemin, j’ai aperçu des jambes, étendues sur l’autre rive. Elles trempaient dans l’eau. Les orteils effleuraient la surface. Il faisait bon mais la rivière devait être froide à cette période de l’année.
Petite, j’aimais l’eau. Froide, chaude, tiède, salée, chloré, savonneuse. Au premier dimanche ensoleillé, en avril, on allait manger près d’un lac et je me baignais. J’aimais ressentir le frisson, et les ronds qui entouraient et anesthésiaient mes jambes. Je me sentais héroïque d’être la seule parmi tous à oser endurer ce froid glacial. Je me moquais d’eux. Les vieux, les pas drôles, ils avaient peur. Aujourd’hui j’ai compris que cette fierté de nageuse nordique ne vaut peut être pas le coup. Le risque de ne plus sentir ses jambes et de perdre l’usage de ses orteils est un peu effrayant. Alors, même avec du soleil, c’est une drôle d’idée de tremper ses pieds dans la Villaine à cette époque.
Cela dit, je n’ai pas vérifié que ces jambes étaient rattachées à leur propriétaire. »