Elle arrive toujours avant moi, matière invisible, enroulée sur elle-même.
Elle vient des coins du gouffre. Il y a des portes ouvertes, je ne le savais pas.
Et elle se glisse ; réveillée depuis bien trop longtemps. Et lorsqu’elle bute
sur la pointe de ma langue, ou celle de mon stylo, à coups de mâchoires,
à coups de mots, à coups de hachoirs, ne pourrais-je pas plutôt m’y accrocher ?
L’attraper, l’empêcher de sortir. Ne pourrait-t-on pas retourner d’où elle vient,
rebrousser chemin ? Et je la suivrais dans la brume, flottant, dans un paysage de songes.
L’espace là-bas, n’est-il pas plus vaste ? un gouffre immense, un univers.
Et je m’y accrocherais, comme à une main, un voile fantomatique.
Au pays de mes peurs, à la source des possibles.
Et je suis là, sur la crête de ce cratère bouillant, depuis bien trop longtemps. Condamné au tour.
C’est vous qui m’aviez dit que je me brulerai quand j’ai voulu descendre. Vous m’avez forcé
à remonter. Et toujours, vous finissiez par avoir raison de moi.
Nique-toi, avec ta peur du vide, avec tes doutes ; avec ta réalité toute pétée, ton vieux prisme étriqué.
Laisse moi faire des demis-tour avec mes œils.