La cabane
J’ai douze ans et je vais pas à l’école. En fait je vis chez une vieille qui sait même plus que je suis là, je m’occupe de son ménage et de ses courses, alors je sais pas ce qu’elle croit, sûrement qu’elle croit que son frigo se remplit par l’opération du Saint-Esprit. Elle parle plus, des fois elle fait juste « mmmh mmmh », mais moi j’aime bien lui parler quand même, même si elle m’entend pas non plus. C’est pour ça que j’aime bien être avec elle, parce qu’elle me calcule même pas mais c’est pour de vrai. Elle voit plus, elle entend plus, elle sent tellement plus qu’elle sait même pas qu’elle pue la pisse, mais je l’aime bien. Je sors peu parce que à part elle, j’aime pas les gens dehors. Ils parlent trop, ils regardent trop, ils entendent tout. Une fois j’ai du rappeler à l’ordre un type qui me marchait dessus dans le bus. « C’est mon pied sur quoi vous marchez, m’sieur », et il n’a même pas bougé. C’est pour ça que je les aime pas. Ma vieille au moins elle entend rien mais c’est pour de vrai.
Le seul objet de valeur que j’ai c’est un stylo V.Ball 0.5 que j’ai trouvé par terre. Parfois je fais des dessins pour ma vieille et je m’imagine qu’elle les aime bien même si elle fait juste « mmmh mmmh ». Une fois je suis sortie et j’ai tellement marché que je suis sortie de la ville et je me suis retrouvée en pleine campagne. J’ai vu passer un oiseau. Il planait au-dessus des pentes blanches et glacées de la colline de l’ouest, puis il est parti. Et c’est là que j’ai su ce que je veux. Je veux aller me construire une cabane en haut d’une colline. Alors depuis le jour de l’oiseau je dessine que des cabanes en haut de collines. Et quand ma vieille sera morte je choisirai la meilleure colline, celle qui est la plus éloignée de la ville, et j’y fabriquerai une cabane tellement petite que personne d’autre ne pourra vivre avec moi et j’y resterai jusqu’à ce que je crève et je mangerai des écureuils et des chevreuils et des baies. C’est mon vieux rêve.