La femme bouteille.
Elle était comme toutes les autres, creuse à l’intérieur et un trou d’évier au sommet de la tête.
Depuis son enfance les gens qui l’entouraient s’évertuaient à la remplir de connaissances, d’informations, de faits divers.
Chaque réponse apportée à ses questions maladroite remplissait sa jauge intérieure.
Lors d’une conversation de groupe, les jauges des uns et des autres grimpaient ou descendaient au fur et à mesure des échanges.
A la façon de bouées maritimes qui flottent au gré des vagues, ou d’un thermomètre au mercure qui subit les chutes de températures : elle n’avait aucun contrôle dessus. Certains trichaient et se mettaient la tête sous le robinet… mais c’était inutile, les fausses connaissances s’évaporent bien trop rapidement pour pouvoir donner le change.
La femme bouteille craignait de tout perdre avec sa mémoire si peu entraînée. Les souvenirs si chèrement glanés risquaient en effet de s’évanouir dans la nature à cause de la fuite de son coude gauche. Au moins elle pouvait se rassurer, il lui resterait toujours une base de liquide dans ses jambes qui ne fuirait pas, sauf peut être à cause d’une insolation.
Les gens parlent de la maladie d’Alzheimer, mais ils ne se doutent pas une seconde qu’il s’agit d’une fuite au gros orteil. Hélas, comme toutes les fuites, elle n’est pas simple à réparer.
Certains, paniqués, se couvrent de pansements ou se bouchent le crane avec du liège, en espérant ralentir le flot de ces pertes. Mais il s’agit là de comportements enfantins et bien inutiles, ils devraient le savoir depuis le temps.
Néanmoins elle peut comprendre, il est parfois plus simple de se bercer de faux semblants rassurants et de fixer la toile cirée accrochée sur le mur pour camoufler la triste réalité contre laquelle on ne peut pas lutter.
La femme bouteille n’a peur que d’une chose : LA chute qui entraînerait l’amnésie.