Errances

3 novembre 2020

huit heure quinze du matin en été

Filed under: musardises — Étiquettes : — errant @ 21:50

Chaque jour, pousser le portail de la propriété, sonner, espérer qu’il sera à l’étage, qu’il mettra dix minutes à atteindre la porte. Elle voudrait fumer une clope imaginaire, en regardant la lumière du matin sur les vagues. Mais il ouvre déjà, bonjour, comment allez-vous aujourd’hui, le temps qu’il fait, elle le vouvoie,  l’appelle Monsieur L., alors qu’elle, c’est juste Juliette. Il a retenu son prénom, déjà. C’est certainement une ancienne maison de pêcheur, blanche et entourée de pins, qu’il a réaménagé pour faire croire à un manoir de campagne, ayant appartenu à sa lignée aristocratique, avec portrait de l’ancêtre sur la cheminée, tapis épais, velours aux murs, bibelots catholiques, papier peint assortis au linge de maison. Il lui propose un café qu’elle n’a pas le temps de boire, pour la forme. Elle lui pose une ou deux questions pratiques, il ne sait pas y répondre, il rit, vous savez, ce n’est pas lui le grand spécialiste du ménage, mais sa femme est morte depuis décembre déjà, et il ne sait toujours pas où se range les assiettes, alors… Elle ramasse son linge sale de la veille sur le sol de sa chambre, elle jette son tiers de biscotte entamée au petit-déjeuner, et fait chauffer le fer. Il la complimente toujours sur son travail, impeccablement effectué, un véritable don pour le repassage, même le jour où elle a brulé le crocodile de ses chaussettes de tennis, et elle comprend peu à peu qu’il ne voit à peu près plus rien, et qu’il n’entend pas vraiment non plus. Taper les tapis, lustrer les lustres, rôtir le rôti, elle devient une automate. Tous les jours, la mer sa voisine dépose sur les carreaux la sève et le sel, qu’elle essuie avec une chemise griffée, à laquelle il manque un bouton. Un jeudi, elle se trompe de pile, range le vêtement dans l’armoire de Monsieur L., qu’elle trouve le lendemain, portant ses tâches de javel impeccablement repassées, elle culpabilise un peu. Pendant qu’elle dépoussière une collection de crucifix, dans la coursive qui surplombe le salon, elle écoute une de ses conversations téléphoniques quotidiennes, avec son ami H, qui habite la commune voisine durant l’été. Il lui fait part de ses fantasmes, à propos d’une jeune présentatrice météo, et de ce qu’il voudrait lui faire de force, il rit, et mes amitiés à ta femme. Elle ne sait pas si il ne l’a pas vue, ou s’il l’a fait exprès, s’il elle est devenue peu à peu un meuble, ou un animal. Elle le maudit, elle le hais, elle lui sert une tasse de café et sort la poubelle en quittant les lieux.

 

 

 

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