les cigognes de 1944
La maison est minuscule, et pourtant bien trop grande pour elle : à chaque pas, la douleur. Elle ne dort plus. Il est sept heure et elle s’est déjà levée, coiffée, habillée. Elle a arrangé son lit en une banquette d’appoint pour la journée, au cas où quelqu’un lui rendrait visite, sait-on jamais, il faut se préparer à toutes les éventualités, chaque jour, même si c’est éreintant, car renoncer à ça, c’est renoncer à la vie, à la dignité. C’est être vieille. L’eau chantonne dans la bouilloire, elle se précipite, de son mieux, vers le poêle à bois. Ce matin, elle l’atteint avant que le bouchon ne saute et qu’il aille rouler sous un meuble : la journée s’annonce douce. Une cuillère de café, elle caresse la gamelle avec son pouce en refermant le couvercle. Tous les matins, elle y admire la gravure de Marcel, mais sans les yeux, elle n’a plus besoin de la regarder, elle la connaît par cœur. Elle laisse ses doigts abîmés épouser les contours des toits de l’Alsace, et le bout de son ongle s’accrocher là où le dessin est plus profond, à droite, au niveau du nid. L’odeur du café qui remplit la pièce, le bruit de son alliance heurtant la boîte, un rituel d’amour simple, qu’elle persiste à effectuer chaque jour.