Yves I
Yves on ne le remarque pas. Quand on le croise dans la rue, on ne se retourne pas. Invisible. et ça lui convient. Les gens, ça n’a jamais été trop son truc. À vrai dire, il n’a pas grand chose qui soit « son truc ». Il y a bien le ping pong, peut-être, mais il n’est pas très bon. Et ça lui fait vite perdre patience. Y jouer tous les quinze jours à l’Etang Bleu lui suffit. On est jeudi. Yves attend le bus. Celui de 18h36. Il pleut. Pas une grosse averse. Non juste assez rendre la scène insipide. Tout est gris autour de lui. Morne. Avec son costume anthracite, Yves se fond encore plus dans le décor. Il jette un coup d’oeil à sa montre. 18h38. Le bus est en retard. Il passe les doigts sur son portefeuille, au fond de sa poche. Le cuir est usé et doux. Un des rares cadeaux que lui a fait son père, il y a bien longtemps de cela. Il pense au morceau de papier glissé sous la partie plastifiée. Un petit bout de liberté. Une douce caresse à son esprit dans son monde atone. La photo est usée mais on reconnait encore parfaitement l’oiseau. Une marmaronette marbrée. Il l’a découverte alors qu’il feuilletait un vieux Chasse & Pêche dans la salle d’attente de son dentiste. Son regard attiré par un petit article en bas de page. Ce canard avec son bec noir recourbé. Son plumage argenté. Parcourant chaque année 12667km. De la Chine au Sénégal. Et ça, Yves, il trouve ça beau.