deux heures et demi de l’après-midi en été
Un capharnaüm en plein cœur d’un village vacances. Sur les balcons des immeubles alentours, les maillots de bain sèchent. Au numéro 6 du bâtiment B, les rideaux sont tirés. De la fumée s’échappe d’une fenêtre entrouverte.
Madame B. met toujours plusieurs minutes a ouvrir la porte. Elle peine à se lever du canapé, auquel elle est attachée par les poignets et le visage avec des fils et des tuyaux. Elle traverse lentement son petit couloir encombré en faufilant son déambulateur entre une pile de cartons, une centrale vapeur en panne, un guéridon couvert de brochure de supermarchés, un poste de télévision cathodique et ses trois chiens minuscules. Elle doit entrer dans sa chambre pour entreprendre de faire demi-tour. A 14h38, elle tourne la clef dans la serrure. Madame B. reçoit du monde à longueur de journée, les médecins, les infirmier.ère.s, les psychologues, les assistant.e.s sociaux, les ambulancier.ère.s, les livreur.euse.s – alors elle ne prend plus la peine de dire bonjour en ouvrant. Un mince sourire poli suffit.
La première fois qu’elle entre chez Madame B., elle peine à supporter l’odeur. Un mélange de maison de retraite, de cigarette froide, de litière, et de sachet de lavande. Elle regarde cette petite dame, pas si vieille pourtant, progresser lentement à travers le deux pièces enfumé où elle accumule compulsivement des meubles et objets. Des piles de livres à l’équilibre précaire semblent presque soutenir le plafond. Le lit disparait sous les brassées de linge, le canapé sous les poils de chat. Dans les douze mètres carrés de la pièce à vivre, trois tables à manger, un vaisselier et un buffet, un aquarium, deux panières à chiens, un bar, un sapin de Noël décoré, deux télévisions débranchées et une allumée, une friteuse pleine d’huile stagnante, des dizaines de classeurs débordant d’ordonnances et de paperasse médicale, et 6573 cadavres de cigarettes dans des fonds de verre d’aspirine. Madame B. se rassoit au milieu de son canapé, à l’endroit où les coussins se sont affaissés par habitude, et hésite entre une cigarette, ou quelques minutes d’assistance respiratoire. Elle choisit la seconde option, en expliquant avec une voix lourde de regret qu’on lui interdit de faire les deux en même temps.