Zoloft et Prozac
Je m’élançais pour attraper la dernière boîte de Speda du magasin. C’était peut être la dernière que je verrai jamais, après cela les Speda seront discontinuées et plus jamais on ne verra leurs élégantes couleurs danser sur les étagères et dans nos mains. C’était en somme un objet très simple. Une petite boîte rectangulaire, couleur mandarine, accentuée par des aplats magentas et des lettres gris-clair. Ce petit objet cartonné contenait un élément des plus précieux pour tout amateur d’émotions fortes. En effet le petit cylindre métallique, affublé des lettres S-P-E-D et A renfermait du film traité aux sels d’argent dans l’effort de créer la plus somptueuse des pellicules couleur sur le marché.
En d’autres termes, avec la fin de la Speda, venait la fin d’une ère.
Je vous l’affirme donc, personne ne m’empêcherai d’obtenir cette pellicule, bientôt une relique. Les années passèrent et aucun sujet, aucun modèle, aucun paysage ne me paraissait digne de ma dernière Speda. Je fit le tour du monde à la recherche d’une chose vers laquelle pointer mon appareil. Je traversai les mers et les montagnes. Pris train, bâteau, avion, voiture, bus, vélo, trottinette, mobilette, ou encore patins à roulette. Mais rien n’y suffit. Ma pratique de la photographie s’éteint petit à petit. Ma Speda dormant tranquillement dans l’obscurité de mon boîtier, je ne pouvais vraisemblablement pas la déranger en l’échangeant avec une quelconque autre.
Par une nuit orageuse je me promenais en bord de mer, mon appareil armé de ma Speda pour compagnons, quand soudain l’envie de regarder par l’objectif me pris. Je l’avais souvent fait à travers les années, comme pour me donner la possibilité d’appuyer sur le déclencheur. Ou encore, pour voir le monde à travers la lentille de cet objet si précieux.
Je cadrais donc en direction de la mer qui s’agitait et clic. Mon index glissa. La libération.
Plus que 35 poses.