carré de goudron #1
Le carré de goudron est un ventre gonflé qui se fissure lentement, prêt à éclater. Dessous, torturées, des racines noires, nouées se laissent deviner. Elles se confondent avec le bitume et on ne sait plus trop si ce sont les racines qui bouffent le goudron ou l’inverse. Parfois, lentement, une main vient caresser un morceau d’asphalte, chercher une prise, trouver la meilleure aspérité. Puis un mouvement sec, vif, une déchirure, le morceau s’arrache, tombe plus bas ; quelques grains viennent rouler jusqu’à ses pieds. C’était toujours le même processus.
Il en avait les mains calleuses et la sueur lui coulait jusqu’au bas du dos, à force de défoncer les anciennes routes et autres grandes dalles dures à la pioche et à la main. Il avait été envoyé inspecter un de ces anciens centres le long d’une route. Le dépavage du chemin avait bien avancé et il fallait maintenant s’attaquer à ce bloc massif qui devait faire office de parking ou je ne sais quoi deux siècles plus tôt. Il était parti avec son équipe, monté sur son cycle quasi neuf, passé par ces routes qu’il s’efforçait de dépaver. Je devais les rejoindre plus tard dans la matinée.
Je vis au bord de la mer, près d’une plage blanche qui vient s’échouer le long de la côte. C’est une longue bande de sable, une colonne vertébrale voûtée par les années. Une ligne de chemin de fer y rouille tout le long, enfoncée dans le sol, rongée par le vent et les embruns, presque disparue. Quand j’étais gosse, je suivais les vieux rails qui finissent écroulés sur la plage. Ça nous menait à des vieux ports, qui devaient dater d’il y a deux siècles eux aussi. De grosses boîtes en métal oxydées jonchaient un peu partout le long de la plage, au bout des rails. Interdiction de les approcher, ça aurait pu péter.