Errances

24 novembre 2021

carré de goudron #2

Filed under: passerelles,- Louis Gipo — Casper @ 21:21

Moi, je suis en charge de réhabiliter les sols libérés de leur chape. Leur redonner le moyen de respirer en quelques sortes.

On a abandonné les grands territoires centraux depuis plus de cinquante ans pour se concentrer sur les côtes. Les paysages sont tranquilles là-bas, plus personne pour les approcher. Il y reste deux trois types paumés se disant qu’ils peuvent continuer à vivre comme dans l’ancien monde. Mais chacun sait que le retour est impossible. Après la chute lente du petit confort de l’humanité, qui s’est étalée du vingt-et-unième jusqu’au début du vingt-deuxième siècle, ceux qui restaient ont passé un pacte de non-agression. Pas seulement entre eux, mais avec ce qui les entourait. L’abandon de technologies incompréhensibles pour la plupart de la population, l’abandon des industries, l’abandon de la masse… Cela aussi a été lent, ou plutôt progressif. L’humanité ne pouvait pas tout abandonner d’un claquement de doigts. Mes arrière-grands- parents ont connu les derniers soubresauts des réseaux de communication généralisés, mes grands-parents ont vu les grandes tours démolies par des machines qui se font maintenant plus rares, mes parents ont connu les dernières voitures électriques… Moi, je ne connais que les épaves de ces légendes qu’on démonte minutieusement.

Je vis au bord de la mer, dans une petite maison collective de bois et de toile. Le patelin se trouve sur les restes d’une méga-agglomération balnéaire, au sommet de falaises qui surplombent la mer. Quand ils étaient gosses, mes grands-parents vivaient près de vieilles baraques en ruine à l’ombre d’immeubles démolis. Ils restent deux trois de ces maisons en pierres que les vieux n’ont pas su détruire, les trouvaient-ils trop chargées d’histoire ? On ne se demande jamais ce qu’il adviendra des paysages que nous connaissons.

Sur le chantier je commençais à m’occuper des terrains à désartificialiser, ceux où plus rien ne vivait depuis le vingt-unième. C’est à peu près toujours la même chose : retourner le sol, amener de la terre viable, de l’humus parfois. J’ai entendu parler de types qui ont utilisé une sorte de bestiole, ni plante, ni animal, comme un champignon qui bouffe toute la merde dans les sols corrompus. Ils en déposent un petit morceau et le truc prolifère. Il y a encore de nombreuses recherches à faire là-dessus, c’est fou ce qu’on peut faire en collaborant avec la nature, mais j’ai exagéré sur l’abandon des technologies. Je n’ai jamais eu à prendre le train, je ne suis jamais monté dans une voiture, je n’ai jamais passé de scanner, mais il reste des recherches scientifiques dans des villages plus importants qu’ici, où une chimie sans rejet nocif existe, des hôpitaux, quelques technologies que personne ne s’est résolu à abandonner, bien que leur utilisation soit restreinte…. L’homme a su jouer une musique à la coda différente mais n’a pas su se séparer de tous ses instruments.

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