carré de goudron #4
Le village s’était mis en branle. Fallait qu’on sache, partir ou non. L’angoisse prenait tout le monde aux tripes, semait des débats houleux, des bourrasques d’agitation qui laissaient des embruns amers sur les lèvres. La peur que la côte s’effondre jusqu’à notre village nous faisait vriller. Un conseil avait lieu. L’assemblée réunissait tous les gens du coin. J’essayais de rester calme. Nous n’étions pas sur la côte la plus élevée. Nos terres avaient déjà eu droit à un traitement de désartificialisation et les sols revenus à eux-mêmes, ou restés naturels, sont plus solides, on le sait. Mais un paradoxe tourbillonnait désormais. Était-ce parce que nous enlevions le bitume que le littoral s’écroulait ? C’est ce que beaucoup pensaient. Le pacte planétaire stipulait clairement que la décontamination était primordiale, que ce soit pour les sols pollués par la chimie moderne ou ceux simplement couvert de bitume. Mais si… mais si ce pacte avec la planète rédigé il y a cent-cinquante ans consistait en autre chose qu’une méthode explicite qui nous dictait ce qu’il devait être fait ou non. Nous nous contentions de suivre chaque point et chaque sous-point à la lettre. Certains en avaient perdu le sens : vivre en harmonie avec son environnement, abandonner ce qui corrompt la terre et l’air, redonner un souffle à la nature… Cela demandait de l’adaptabilité. Un type qui ne voulait rien entendre donna un coup dans un des monticules d’asphalte au coin de la salle. Ces petits tas, multiples fragments de bitume arraché, s’élevaient au fur et à mesure que nous en arrachions du sol. Des sortes d’autels qui s’érigeaient aussi bien près des champs anciennement recouverts par le béton que dans nos habitats. Cela permettait de nous souvenir. Ne pas oublier pourquoi nous étions toujours là, ne pas oublier le pacte. Même si je me rendais compte qu’il n’était devenu qu’un mode de vie auquel on ne réfléchissait plus, que nous ne réinventions plus…