carré de goudron #5
Le même type en colère me prit à partie : « Eh ! C’est toi qui connais le terrain, tu devrais trouver une solution pour qu’on reste ici sans risque. » J’expliquai ce que je pensais, mais il n’était pas satisfait, les autres non plus.
– On ne peut pas quitter cet endroit, on n’a pas bossé pour rien ! On a mis cent ans à rendre la terre fertile, avec la patience de la laisser tranquille et tu voudrais qu’on parte pour recommencer ailleurs !
Ils manquaient de nuance. Je tentais d’apaiser la tempête.
– Écoutez, je… je sais qu’on a beaucoup bossé ici. Et je n’ai pas envie de partir non plus. Mais les solutions sont maigres. La côte s’effondre et c’est justement là l’héritage d’un passé que nous sommes en train de changer. Savoir si les éboulements vont s’étendre jusqu’ici est impossible pour le moment, je n’ai même pas le matériel.
– On n’a qu’à contacter un hameau plus important que le nôtre. Ceux du sud, c’est là où ils ont le plus de moyens. Suffit d’activer la radio pour une fois !
– Mais vous savez que ça prendra du temps dans tous les cas… Et à quand bien même, vous voulez faire quoi ? Qu’on foute du béton le long de la falaise pour pas qu’elle se casse la gueule ? Et contacter d’autres bleds, même pas sûrs qu’ils acceptent de venir.
– Pourquoi pas préparer un des voiliers et partir vers eux ?
C’était rare de recevoir des informations d’autres hameaux, encore plus d’en donner. Il y a cinq rassemblements par an, tous les villages de la région se réunissent. Faut voir le monde. Ça permet de se rappeler les accords, faire le point sur les avancées de chacun et être sûr qu’aucun n’oublie. J’avais entendu dire que dans le temps les informations circulaient partout, sans arrêt, ils ne devaient même plus avoir le temps pour penser. Maintenant, j’avais l’impression d’être pris de court. Dans notre situation, nous ne pouvions pas attendre une de ces assemblées, et un voyage en voilier pouvait se solder d’un échec.
Le conseil prit fin peu après sur un statu quo. On verrait le lendemain.