Anno 245
A Chaalons, Sonia regarde les rives du Nau. Elle est y est éclusière, depuis 7 ans, et ce mois de Germinal est particulièrement doux. Le ciel a enfin, quitté le voile blanc de l’hiver. Il est d’un bleu de neige, unique à la levée du printemps. Les branches nues des arbres attrapent la clarté du monde et laissent paraîtres quelques bourgeons que le givre épargne enfin. La rivière en entrant dans le canal se fait troisième ciel, elle est un drapé miroitant la réalité de Sonia en la multipliant dans un mille-feuille de cieux.
Elle perd le pas de ses pensées, le temps s’oublie sous le spectacle du Soleil. Les pensées la distraient de l’indéniable invitation à la célébration qu’offre une caresse orange sur les contours du sol, entre les replis des écorces, sur les dégradés des nuages, dans les perles de l’écume de l’écluse, sur ses joues, sur ses paupières fermés.
Dans le secret des yeux, il n’y a que la chaleur du Soleil, la caresse de ses vêtements, le poids de ses épaules et ce cercle rouge vif qui recouvre ses rétines. Il y a un son, qui recouvre le bourdonnement du paysage, un souffle s’amplifiant en traversant le ciel. Quand il passe au dessus de Sonia, elle voit une ligne grise sombre fendre le ciel et ses reflets. Elle est suivie par l’amplification de ce son qui s’écrase dans ses tympans et sur résonne dans son thorax avant de disparaitre en un long écho.
Elle a vue les arbres trembler, l’eau de la rivière vibrer et a senti l’impact gronder dans la terre à quelques mètres d’ici. Il n’y a que la lumière qui semble avoir ignorer le défi de ce coup de fouet du ciel. Elle s’est jalousement accrochée aux branches, aux nuages, aux cils, aux yeux .
Sans un mot, les promeneurs, les cyclistes et les autos se sont arrêtés, bousculés par le choc. Sonia et les passants échangent des regards différents, certains affolés, d’autres ahuries, des amusés, des fatigué, des absents. Les curieux avancent vers le bassin de prairies où s’est creusé un nouveau cratère. Un cercle de terre retournée avait éclaboussé l’herbe d’une poussière sèche et fine qui tapisse les narine et dessine sur le sol des lignes fuyants vers le centre du cerce. On en voyait qu’un tiers, le sol recouvrait le reste. Un missile aérien, il avait raté sa cible, et s’était logé entre les maisons de Chaalons. Il n’explose pas, sa cible manquée, il s’était désactivé.
Il venait de loin, au delà de l’horizon.
Sonia s’absente.