Shu-Suke, le guerrier rongeur • Jour 1
Les premiers rayons du soleil tapent déjà sur les herbes hautes de la vallée, dessinent la crête des montagnes à l’horizon. Ça me réveille tous les matins. Ces sales rayons de soleil qui traversent tous pour venir m’éblouir dès le réveil.
Je m’extraie de la couchette et du poids de mes frères et sœurs. Cette nuit ils n’ont pas arrêter de bouger. J’en ai vraiment ras-le-cul de dormir tout entasser avec la famille, les parents de chaque côté de la rangée, comme si l’un de nous allait se sauver. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit mais tout bouillonne. Dans mon crâne, lent et bourdonnant… je ne sais pas.
J’enfile mon pantalon et mes chaussons en toile. Je sors en catimini, m’entraine pour devenir le meilleur guerrier du monde puis file jusqu’à la flaque la plus proche. Je me débarbouille la queue, lisse mes poils, redresse me oreilles et me recoiffe mais l’eau glacée ne calme pas ce truc, comme une boule dans mon ventre. Je dois me défouler. À deux pas de moi un petit gars fait sa toilette aussi. Je lui casse la gueule et ça me donne faim. La veille j’ai aperçu des hommes des montagnes jetés leurs ordures près d’ici. Mon baluchon sur l’épaule, je cours entre les herbes hautes, retrouve les ordures et me goinfre de tout ce que je trouve. Mais ça ne remplit toujours pas ce truc en moi, je vais devoir re-péter la figure de l’autre gars. Soudain, je suis à trois mètres du sol. Je ne sens plus rien sous moi, ça me tire la queue. Je me retourne dans le vide. Les yeux ronds d’un homme des montagnes me fixent. J’essaye de lui mettre un coup, lui mords les doigts mais rien. Trop costaud. Il se met à courir, je vois les herbes hautes loin en bas, il file à toute vitesse. L’air me fouette le museau. Je me rends compte qu’il ne court pas mais qu’il est sur une de leur planche volante tout en métal. Quand il s’arrête, la vallée s’étend devant moi, je ne l’avais jamais vu d’aussi haut. Je ne saurais même pas retrouver mon coin d’herbes…
Je réessaye de bouffer le doigt du géant, toujours rien. C’est fou, jamais un homme des montagnes ne s’en est pris à un rat des champs. Il faut que ça m’arrive, à moi. Je vais devoir tabasser tous les hommes de montagne pour sortir de là. D’un coup je ne sens plus la pression des doigts sur ma queue, le sol se rapproche très vite. Je m’écrase sur une espèce de matière molle, très confortable, un coussin ? Je suis au niveau du ventre du géant. Il me dit que j’ai bouffé un truc que je n’aurai pas dû. Qu’un pharmacien va arriver, tout m’expliquer.
La journée passe, j’attends dans une petite grotte, au cœur de la montagne. Le pharmacien arrive enfin. Ces cons d’hommes des montagnes ont jeté des plantes toxiques dans leurs ordures. Plantes que j’ai bouffées. Plantes dont l’effet sera de me faire grandir. Il me dit que je ferai au moins la moitié de leur taille d’ici quelques jours. Qu’il ne sait même pas si les effets s’arrêteront.
Là je commence à flipper. Pourtant, je sens que la boule qui me crame le ventre, la tête et les yeux s’apaise. Comme si… Comme si cela lui faisait plaisir.