La parole d’Ernest
Une fois sa condition stabilisée, les médecins de Mont-Michel entamèrent l’élaboration de la prothèse du patient 0. Il est arrivé prioritaire au centre de réanimation. Le succès de sont traitement a une trop grande valeur symbolique pour que l’ordre des médecins ne faillisse. Le ministère envoya de Paris la docteure Eva Rauchenbach anxieuse de faire la démonstration médiatique d’une méthode encore jeune.
Elle prit, au plâtre, l’emprunte de la crête d’os, de peau et de cicatrices qui interrompt le visage du garçon au milieu de l’arrête de son nez. Depuis cette matrice, elle a sculpté à la glaise la forme lissé du crâne fantôme d’Ernest.
[note de bas de page détaillant le procédé jusqu'à la cuisson d'une céramique alumineuse]
Après une semaine de travail, la docteure Rauchenbach remet sa prothèse aux chirurgien.es de Mont-Michel. Quand Monsieur Cordina est sorti chambre stérile pour le mener au bloc opératoire son rythme cardiaque a chuté, sa respiration s’est rompue, son corps commença à convulser, il a fallu deux infirmier.es pour le tenir alors qu’on lui administrait une dose d’adrénaline.
Ernest se redresse haletant, de la sueur perlant sur ses joue. Deux mains saisissent son mi-visage sous ses oreilles. C’est une femme médecin qui lui parle.
– Monsieur Cordina, gardez votre calme, vous êtes revenus d’une absence. Vous êtes à l’hôpital de Mont-Michel, nous allons vous aider. Nous allons vous stabiliser. Nous allons vous redonner un crâne pour que votre esprit ne vous échappe plus. Une prothèse que je vous apprendrait à retirer. Vous allez pouvoir choisir quand laisser votre tête se dissiper.
Ernest n’a pas écouté la profession de foi de la prothèsiste. Il cherche une ancre dans ce corps qu’il redécouvre. Il retrouve le poids de son cœur brusqué, le poli de ses dents caresser sa langue ; il entend le défroissement de ses poumons quand il inspire et le grincement des fibres musculaires dans les intermittences de son dos. Ses jambes veulent courir, ses bras veulent danser, sa gorge veux crier et sa mâchoire veut mordre. Mais sous l’appétit enthousiaste de la chair à vivre, le cœur faibli, il commence à vaciller sous le poids de toutes ses pulsions.
Un infirmier pose une main sur son épaule.
– Respirez profondément.
En expirant une large bouffée d’air, Ernest sent la fatigue de ses bras tirer sur son dos, il se souvient du poids que les jours trop longs avaient sur ses paupières, il retrouve la paresse qui l’empêchait de succomber à des agitations trop vives.
Dormir c’est exister.
Il entendit sa voix rebondir contre les murs. Pour la première fois depuis 4 semaines, Ernest a parlé.